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Les fondations de l'islam. Entre écriture et histoire
Paris, Éditions du Seuil, 2002. 523p.
Critique:
Diane Steigerwald, Religious Studies, California State University (Long
Beach)
Alfred-Louis de Prémare, historien du monde arabo-islamique, nous présente
dans ce livre différentes sources primaires qui ont servi à élaborer les
fondations de l'islam. [p. 241] D'après lui, le Qur'ân, qui n'a été
compilé qu'à la fin du VIIe siècle, n'est pas une source sûre pour
établir une biographie de Muhammad à cause de son style énigmatique et allusif.
L'auteur remet donc en question la tendance générale des premiers islamologues
à considérer le Qur'ân comme la source la plus fiable sur la vie de Muhammad.
Cette opinion s'appuie sur des auteurs musulmans qui élaborèrent une biographie
du Prophète ayant principalement pour objectif d'expliquer plusieurs passages
du Qur'ân (p. 10).
L'auteur s'accorde avec
John Wansbrough pour affirmer que les traditions biographiques sur le Prophète
ont été composées dans une perspective d'«histoire du salut». Elles reflètent
les intentions des auteurs musulmans qui désiraient présenter le Prophète sous
certains angles (p. 18-19). Quant aux traditions du hadîth, paroles
attribuées à Muhammad, plusieurs sont apocryphes et postérieures aux conquêtes
(p. 22). Comparativement à l'histoire du judaïsme et du christianisme nous
n'avons que très peu découvert de vestiges archéologiques des débuts de l'islam
(p. 23).
«Selon toutes les
sources, aussi bien arabes que non arabes, Muhammad fut, sinon le réalisateur,
au moins l'initiateur de la conquête à l'extérieur de la péninsule arabe» (p.
25). Voilà une généralisation bien hâtive et où sont les évidences d'une telle
thèse dans toutes les sources? L'auteur remet en question la fiabilité des
sources primaires des auteurs musulmans qui ont écrit, dans une certaine
perspective, les idées qu'ils voulaient présenter des origines de l'islam et de
la biographie du Prophète. Les chaînes de transmission (isnâd) ont été
elles-mêmes «sélectionnées, validées ou invalidées» (p. 27) par les auteurs
musulmans selon leurs propres critères et leur propre vision de la réalité.
D'après Harald Motzki
lorsqu'on veut écrire sur la vie de Muhammad on arrive à une impasse: «D'un
côté il n'est pas possible d'écrire une biographie historique du Prophète sans
être accusé de faire un usage non critique des sources; tandis que, d'un autre
côté, lorsqu'on fait un usage critique des sources, il est simplement
impossible d'écrire une telle biographie» (cité par Alfred-Louis de Prémare, p.
30). Dans le premier chapitre, l'auteur décrit son objectif qui n'est pas de
présenter une biographie de Muhammad. Il tente simplement de présenter quelques
traits caractéristiques des origines de l'islam tels qu'ils apparaissent dans
les textes historiographiques. Il désire présenter l'islam «dans son cadre
historique extérieur» (p. 31).
L'ouvrage se divise en
quatre parties: 1) les marchands, ii) les conquérants, iii) les scribes et iv)
les annexes sur les auteurs et les textes. On ne peut que s'opposer à certaines
idées de l'auteur qui tend à réduire la notion de jihâd à la guerre
sainte. Selon Alfred-Louis de Prémare, l'objectif de la Charte de Médine
rédigée par Muhammad «était ‘le combat sur le chemin de Dieu’, c'est-à-dire la
conquête» (p. 85). On insistera jamais assez sur le sens premier du mot jihâd
qui signifie «effort». C'est une discipline personnelle qui consiste en la
recherche de l'amélioration de soi-même. L'objectif de la Charte de Médine
était avant tout la coexistence harmonieuse et pacifique des musulmans et des
gens du livre (ahl al-kitâb), i.e. les juifs et les chrétiens, qui avaient
le droit de pratiquer librement leur religion à certaines conditions.
«À lire la littérature
biographique autour de Muhammad et ses compagnons, en tout cas, on en arrive à
définir l'islam des origines de la façon suivante: c'est ralliement ou la soumission
à un pouvoir nouveau instauré par un Prophète qui en définit les lois au nom de
Dieu, et dont les assises politiques sont appuyées sur une action militaire
permanente. C'est cela que veulent rendre compte précisément les récits
d'Expéditions de l'envoyé de Dieu (Maghâzî Rasûl Allâh), noyau premier [p.
242] de l'écriture sur l'histoire des débuts de l'islam» (p. 86). L'islam
qui signifie la paix n'était certainement pas appuyé «sur une action militaire
permanente». Muhammad, au cours de sa vie, a toujours voulu tout tenter pour
éviter de recourir à la guerre par l'arbitrage et la négociation. Comme
l'auteur le confirme lui-même, l'activité diplomatique de Muhammad a toujours
été très intense (p. 116).
En lisant les mêmes
sources que l'auteur a lues, on pourrait arriver à des conclusions opposées. Il
aurait été préférable de présenter un portrait d'ensemble qui intègre les
éléments positifs et négatifs de toutes les sources pour avoir une image plus
objective de la réalité. En dépit de quelques généralisations rapides, il faut
souligner le travail considérable de l'auteur qui présente une foule de détails
et quelques sources qui pourront intéresser les spécialistes et historiens de
l'islam.
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