Studies in Religion / Sciences Religieuses

31: 2, 2002: 240-242


© Canadian Corporation for Studies in Religion / Corporation canadienne des Sciences Religieuses

[p. 240]

Recension:

Les fondations de l'islam. Entre écriture et histoire

Alfred-Louis de Prémare

Paris, Éditions du Seuil, 2002. 523p.


Critique: Diane Steigerwald,   Religious Studies, California State University (Long Beach)


Alfred-Louis de Prémare, historien du monde arabo-islamique, nous présente dans ce livre différentes sources primaires qui ont servi à élaborer les fondations de l'islam. [p. 241] D'après lui, le Qur'ân, qui n'a été compilé qu'à la fin du VIIe siècle, n'est pas une source sûre pour établir une biographie de Muhammad à cause de son style énigmatique et allusif. L'auteur remet donc en question la tendance générale des premiers islamologues à considérer le Qur'ân comme la source la plus fiable sur la vie de Muhammad. Cette opinion s'appuie sur des auteurs musulmans qui élaborèrent une biographie du Prophète ayant principalement pour objectif d'expliquer plusieurs passages du Qur'ân (p. 10).

            L'auteur s'accorde avec John Wansbrough pour affirmer que les traditions biographiques sur le Prophète ont été composées dans une perspective d'«histoire du salut». Elles reflètent les intentions des auteurs musulmans qui désiraient présenter le Prophète sous certains angles (p. 18-19). Quant aux traditions du hadîth, paroles attribuées à Muhammad, plusieurs sont apocryphes et postérieures aux conquêtes (p. 22). Comparativement à l'histoire du judaïsme et du christianisme nous n'avons que très peu découvert de vestiges archéologiques des débuts de l'islam (p. 23).

            «Selon toutes les sources, aussi bien arabes que non arabes, Muhammad fut, sinon le réalisateur, au moins l'initiateur de la conquête à l'extérieur de la péninsule arabe» (p. 25). Voilà une généralisation bien hâtive et où sont les évidences d'une telle thèse dans toutes les sources? L'auteur remet en question la fiabilité des sources primaires des auteurs musulmans qui ont écrit, dans une certaine perspective, les idées qu'ils voulaient présenter des origines de l'islam et de la biographie du Prophète. Les chaînes de transmission (isnâd) ont été elles-mêmes «sélectionnées, validées ou invalidées» (p. 27) par les auteurs musulmans selon leurs propres critères et leur propre vision de la réalité.

            D'après Harald Motzki lorsqu'on veut écrire sur la vie de Muhammad on arrive à une impasse: «D'un côté il n'est pas possible d'écrire une biographie historique du Prophète sans être accusé de faire un usage non critique des sources; tandis que, d'un autre côté, lorsqu'on fait un usage critique des sources, il est simplement impossible d'écrire une telle biographie» (cité par Alfred-Louis de Prémare, p. 30). Dans le premier chapitre, l'auteur décrit son objectif qui n'est pas de présenter une biographie de Muhammad. Il tente simplement de présenter quelques traits caractéristiques des origines de l'islam tels qu'ils apparaissent dans les textes historiographiques. Il désire présenter l'islam «dans son cadre historique extérieur» (p. 31).

            L'ouvrage se divise en quatre parties: 1) les marchands, ii) les conquérants, iii) les scribes et iv) les annexes sur les auteurs et les textes. On ne peut que s'opposer à certaines idées de l'auteur qui tend à réduire la notion de jihâd à la guerre sainte. Selon Alfred-Louis de Prémare, l'objectif de la Charte de Médine rédigée par Muhammad «était ‘le combat sur le chemin de Dieu’, c'est-à-dire la conquête» (p. 85). On insistera jamais assez sur le sens premier du mot jihâd qui signifie «effort». C'est une discipline personnelle qui consiste en la recherche de l'amélioration de soi-même. L'objectif de la Charte de Médine était avant tout la coexistence harmonieuse et pacifique des musulmans et des gens du livre (ahl al-kitâb), i.e. les juifs et les chrétiens, qui avaient le droit de pratiquer librement leur religion à certaines conditions.

            «À lire la littérature biographique autour de Muhammad et ses compagnons, en tout cas, on en arrive à définir l'islam des origines de la façon suivante: c'est ralliement ou la soumission à un pouvoir nouveau instauré par un Prophète qui en définit les lois au nom de Dieu, et dont les assises politiques sont appuyées sur une action militaire permanente. C'est cela que veulent rendre compte précisément les récits d'Expéditions de l'envoyé de Dieu (Maghâzî Rasûl Allâh), noyau premier [p. 242] de l'écriture sur l'histoire des débuts de l'islam» (p. 86). L'islam qui signifie la paix n'était certainement pas appuyé «sur une action militaire permanente». Muhammad, au cours de sa vie, a toujours voulu tout tenter pour éviter de recourir à la guerre par l'arbitrage et la négociation. Comme l'auteur le confirme lui-même, l'activité diplomatique de Muhammad a toujours été très intense (p. 116).

            En lisant les mêmes sources que l'auteur a lues, on pourrait arriver à des conclusions opposées. Il aurait été préférable de présenter un portrait d'ensemble qui intègre les éléments positifs et négatifs de toutes les sources pour avoir une image plus objective de la réalité. En dépit de quelques généralisations rapides, il faut souligner le travail considérable de l'auteur qui présente une foule de détails et quelques sources qui pourront intéresser les spécialistes et historiens de l'islam.

 


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