Studies in Religion / Sciences Religieuses

31: 1, 2002: 115-116


© Canadian Corporation for Studies in Religion / Corporation canadienne des Sciences Religieuses

[p. 115]

Recension:

Derrida et la théologie. Dire Dieu après la déconstruction

François Nault

Montréal, Médiaspaul, 2000. 266p.


Critique: Diane Steigerwald,   Religious Studies, California State University (Long Beach)


Jacques Derrida est un philosophe français très connu aux États-Unis où il enseigne régulièrement depuis plusieurs années. Il est né en 1930 à Alger, après l’École normale supérieure (ENS) et l’agrégation de philosophie, il enseigne au Lycée du Mans puis à la Sorbonne. À partir de 1964, il est chargé de préparer à l’agrégation les élèves de philosophie à l’ENS. Il exerce cette fonction en même temps que le philosophe marxiste Louis Althusser. Jacques Derrida appartient depuis 1984 à l’École des hautes études en sciences sociales.

L’œuvre de Jacques Derrida est considérable. Le livre le plus célèbre du philosophe est probablement L’écriture et la différence, paru en 1967 au Seuil. Il faut de plus citer Heidegger et la question (1987), Du droit à la philosophie (1990). Ses deux derniers livres, parus en automne 1997, sont Le droit à la philosophie du point de vue cosmopolitique (Verdier) et De l’hospitalité (Calmann-Lévy).

François Nault s’interroge sur les écrits de Jacques Derrida et se demande s’il est toujours possible de faire de la théologie après la déconstruction? «La déconstruction ne consiste-t-elle pas finalement dans un patient travail de deuil, où il s’agit d’apprivoiser ce manque? Ce ‘travail de deuil’ n’est-il  pas lui-même un écho du ‘travail théologique’ ―, qui cherche à penser un Dieu se raturant lui-même, dans le corps d’un crucifié ? Le dernier mot de la déconstruction n’est-il pas dès lors la foi?» (152)

L’écriture est un système symbolique en soi qui dépasse souvent la simple traduction de la pensée de l’auteur. C’est pourquoi Derrida fait appel constamment au concept de «différance». Il ne croit pas au concept de tabula rasa. Il faut donc commencer à l’endroit où nous sommes. «Il n’y a pas de commencement absolu parce que le commencement lui-même est écriture. L’écriture du commencement est le commencement de l’écriture; elle constitue en cela la fin du même commencement, et peut-être aussi le commencement de la fin.» (23) À l’encontre de Martin Heidegger qui accorde une très grande importance aux mots parce que le langage représente la «demeure de l’être» ; Derrida semble avoir perdu confiance au pouvoir des mots. (27) «Dieu ne peut plus constituer le fondement du langage» puisqu’Il échappe à toutes définitions. (30) «Il n’y a, au fond, plus rien à dire» (31) et il faut prendre conscience «de ce paradoxe (dire qu’il n’y a rien à dire).» Les mots sont inadéquats pour décrire cet Innommable. (33)

Lors d’un colloque en 1966 à l’Université Johns Hopkins de Baltimore,  Jacques Derrida a fait la connaissance de Paul de Man, le père de la théorie de la « déconstruction », qui a exercé une profonde influence sur sa pensée. L’approche déconstructionniste dans les études bibliques est apparue dans les années 90. L’œuvre de Derrida a été bien reçue par la critique littéraire américaine alors qu’elle a été mal accueillie en Europe. Certains Européens n’apprécient guère sa méthode de déconstruction qui «représenterait la contestation la plus radicale qui soit de toute théologie herméneutique.» (38) Puisque l’herméneutique repose nécessairement sur une philosophie du sens et que Derrida la remet en question.

François Nault, dans son premier chapitre, cherche à dégager la notion de métaphysique dans le texte derridien et à comprendre sa déconstruction. Le deuxième [p. 116] chapitre examine la déconstruction du signe chez Derrida qui n’aboutit pas à sa destruction. Derrida détermine différemment la notion de signe en faisant appel à une théorie de la référence et une théorie du sujet. Le troisième chapitre cherche à «mesurer la portée théologique (ou contre-théologique ou athéologique) du jeu derridien. […] Derrida identifie généralement le jeu à l’écriture.» (104) «L’absence du signifié transcendantal étend à l’infini le champ et le jeu de la signification.» (105 note 3) Le quatrième chapitre fait une synthèse des problématiques précédentes.

Le cinquième chapitre établit des liens entre la déconstruction et la notion de sublime. Derrida dans sa réflexion sur la sublimité aboutit à la notion de sacrifice. C’est pourquoi le sixième chapitre explore le concept du don et de sacrifice. Le septième chapitre examine la relation entre la parole et la promesse. «La langue ou la parole promet, se promet mais aussi elle se dédit.» (205) Le huitième chapitre se consacre à la théologie négative et son rapport au texte derridien.

François Nault dans son ouvrage examine deux hypothèses: i) la déconstruction est déconstruction du théologique et ii) la déconstruction ouvre sur le théologique. Il conclut à la fausseté ou à l’insuffisance de ces deux hypothèses. «La déconstruction constitue une forme d’athéologie» (263) entre l’athéisme, la théologie et l’apophatisme. Le discours athéologique n’est qu’un lieu de passage, qu’une traversée qui n’aboutit jamais puisqu’il n’a pas de destination.

Une biographie sur la vie de Derrida aurait été utile pour cerner sa pensée. Conformément à la tradition juive, Jacques Derrida juif d’origine séfarade aime à tout remettre en question. Le Dieu du judaïsme est Lui-même désigné comme l’Innommable qui échappe à toute définition puisque tout nom présuppose une définition. Cette éternelle quête de sens n’aboutit jamais puisque son objet est au-delà de toute définition. L’importance de soustraire au texte l'emprise de la pensée conceptuelle était une démarche cohérente, les arguments critiques avancés par Derrida ont ébranlé certains préjugés élémentaires du rationalisme. Malgré la pertinence des critiques qui ne devraient pas être passés sous silence, la déconstruction souffre quand même d'une cohérence interne, car le langage a la capacité de mettre une personne sur le plan imaginal inaccessible à la raison humaine. D’où la nécessité du symbole et du symbolisé pour permettre de faire ce retour à la signification initiale. Il est certain que l’exégèse herméneutique éclaire une grande partie des textes révélés qui concernent une partie de la création divine. Par contre, le sens profond et ultime de la création restera toujours un mystère qui échappe à la majorité des êtres humains.

 


Go to / Aller à:

Volume 31/1 Table of Contents
SR Home Page

WLU Press Home Page