Studies in Religion / Sciences Religieuses

Revue canadienne / A Canadian Journal

Volume 28 Number 2 / 1999

http://www.wlu.ca/~wwwpress/jrls/sr/issues-full/28.2/steigerw.html

 


Diane Steigerwald (PhD en Études islamiques, Université McGill).


Le Logos : clef de l'ascension spirituelle dans l'ismaélisme1

DIANE STEIGERWALD

Lumière sur Lumière! Dieu guide, vers sa Lumière qui Il veut. Dieu propose aux hommes des paraboles. Dieu connaît toute chose. Cette lampe se trouve dans les maisons que Dieu a permis d'élever, où son Nom (Ism) est invoqué, où des hommes célèbrent ses louanges à l'aube et au crépuscule. (Qur'an XXIV : 35-36)

La philosophie du Logos se retrouve dans l'islam, chez les voies (tara'iq) ésotériques et plus particulièrement chez les Ismaéliens2 qui se considèrent comme les héritiers de la tradition néo-platonicienne. Les Ismaéliens appartiennent à la branche shi`ite de l'islam qui croit que le Prophète Muhammad a désigné explicitement (nass jali) son cousin et gendre `Ali comme premier Imam (Guide) et sa descendance comme Guides privilégiés de la communauté (umma). Au cycle prophétique, se terminant avec le Sceau des Prophètes (Muhammad), succède le cycle de l'Imama. Les Imams sont les Amis de Dieu (Awliya' Allah) à travers lesquels se révèle le sens ésotérique (batin) des révélations antérieures (Torah, Évangile et Qur'an). L'Imam est la théophanie de la forme visible du Nom divin suprême qui récapitule en sa personne tous les Noms divins. C'est à travers lui que se révèle le véritable sens du Logos divin.

Comme plusieurs philosophes néo-platoniciens, les Ismaéliens identifient le Logos à l'Intellect primordial (`Aql al-awwal ) (Gardet 1960 : 426) qui joue un rôle dans la création du monde et la remontée des âmes humaines vers la Déité. Le Logos se manifeste à différents niveaux hiérarchiques du monde spirituel et matériel. La philosophie ismaélienne du Logos est intimement reliée à la dimension ésotérique de la religion initiée par l'Imam. Il existe plusieurs définitions du terme Logos. Ici nous l'entendons dans un sens bien spécifique, le Logos est le suprême intelligible (Intellect divin) à la fois Créateur du monde et Guide spirituel des âmes vers la Déité. Avant d'analyser le Logos dans l'ismaélisme, résumons brièvement la conception du Logos chez quelques philosophes grecs en mettant en relief certains éléments caractéristiques se rapportant à notre définition spécifique du Logos. Parmi plusieurs extraits de la Bible (Ps 119, 89; Is 40, 8; He 1, 3 et 4, 12, etc.) concernant le Verbe (Logos), certains ont des résonances philoniennes indéniables comme celui de l'Évangile de Jean (1, 1-5) : "Au commencement était le Verbe et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Tout fut par lui, et sans lui rien ne fut. Ce qui fut en lui était la vie et la vie était la Lumière des hommes, et la Lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas saisie". L'épître aux Philippiens (2, 9) se distingue par des résonances hermétiques : "Aussi Dieu l'a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout Nom".

Cette notion de Logos vient certainement de la tradition philosophique stoïcienne (IVe siècle avant J.-C.) et elle sera utilisée par Philon d'Alexandrie (circa 50 après J.-C.). La philosophie du Logos de l'hellénisme expliquait la création du monde par ce suprême intelligible et voyait en lui le moyen de salut pour les âmes. Elle pénétra dans un cercle de Juifs qui prêchaient l'arrivée imminente du Messie, théophanie du Logos. C'est ainsi qu'apparut le gnosticisme qui faisait une synthèse entre l'hellénisme et le messianisme. Le Dieu transcendant de Philon n'agit pas directement sur le monde mais à travers des intermédiaires. C'est par le Logos que Dieu a créé l'univers (cf. Ps 33, 6-9). L'âme humaine pour retourner à son origine doit passer à travers une série d'intermédiaires (Bréhier 1924; Bréhier 1931 : 387-388; Daniélou 1957; Wolfson 1948).

La philosophie du Logos existait aussi chez le mystérieux personnage de Hermès Trismégiste3. Il faut distinguer deux hermétismes. Le premier remonte à l'antiquité égyptienne avec le mystérieux personnage d'Hermès- Thot. Le deuxième hermétisme est né dans le bassin oriental de la Méditerranée au IIIe siècle avant notre ère, puis à Rome. Dans les textes égyptiens anciens, Thot est le "vicaire" de Rê, le "second" du Grand Dieu symbolisé par la Lune éclairant les hommes durant la nuit (Nagel 1942)4. Un texte d'Edfou (époque ptolémaïque datant de 330 avant notre ère) considère Hermès comme le Verbe créateur du monde. Hermès-Mercurius est conçu comme un Principe "médiateur" assurant l'ordre du cosmos. L'humanité a besoin de la révélation théophanique d'un Principe Unificateur, d'un Médiateur comme Hermès pour la guider à découvrir cette science divine. Dans l'Hermès-Thot se révèle la coïncientia oppositorum entre le monde terrestre et le monde céleste, entre le visible et l'invisible.

Les traités grecs connus sous le nom de Corpus Hermeticum (Festugière et Nock 1945-1954; Festugière 1967a : 30, 33) développent une conception divine au-delà de la pensée humaine et du langage. Cette théologie savante ésotérique était essentiellement monothéiste (Dieu est au-dessus de tout Nom [agnôstos], traité V, 1). Hermès Trismégiste, théophanie du prototype de l'Anthrôpos céleste, pratiquait la réminiscence (anamnese) du Verbe divin (Logos). Celui qui est gratifié par le Logos est capable de chasser les douze vices (l'ignorance, la tristesse, l'incontinence, la concupiscence, l'injustice, la cupidité, la tromperie, l'envie, la fraude, la colère, la précipitation, la méchanceté) par dix puissances bonnes (la connaissance de Dieu, la joie, la continence, la force d'âme maîtresse du désir, la justice, la bonté miséricordieuse, la véracité, le bien, la vie et la lumière) (Festugière 1967a : 62-63). Le corps subit le sort du destin alors que l'âme est libérée par l'intellect, son objet est de maîtriser les passions. Selon le Corpus Hermeticum (traités I, 21; IV, 3ss.; XII) tous les hommes ont reçu l'intellect en puissance, mais il dépend d'eux de le mettre en acte par la manière de vivre. Tous les êtres humains ont reçu la raison et ils doivent chercher à mériter la grâce de l'Intellect. La liberté de choisir le Logos et sa responsabilité incombent à celui qui en prend la charge. Il existe deux catégories d'individus : ceux qui accordent plus d'importance au corps et ceux qui privilégient le spirituel. Celui qui est à l'écoute de son Intellect s'assimile à Dieu par "une naissance en Dieu" (traité XIII, 6). L'objectif de l'initiation est de réaliser que Dieu est au-dessus de tout Nom (traité V, 1). Hermès présente sa vision du monde : "regarde, écoute et comprends. Tu vois les sept sphères de toute vie. À travers elles s'accomplit la chute des âmes et leur ascension. Les sept génies sont les sept rayons du Verbe-Lumière. Chacun d'eux commande à une sphère de l'Esprit, à une phase de la vie des âmes" (traité Poimandrès; Schuré 1960 : 190). Le Verbe-Lumière se manifeste ainsi dans les sept niveaux. Cette théorie du Logos s'est poursuivie chez plusieurs philosophes grecs dont Plotin est un bel exemple.

Chez Plotin (circa 270 après J.-C.), le premier Logos est le Noûs (Plotin, Ennéades, V, 1, 6-7; Trouillard 1956 : 65), l'Intellect primordial. Le monisme émanatiste de Plotin et la hiérarchie de l'Âme, de l'Intellect et de l'Un constituent la transcription en termes philosophiques des étapes menant à l'union mystique. La pensée plotinienne est motivée par son désir de voir le Divin, cette vision mènera l'âme à s'identifier à Dieu. La pensée de Plotin est à la fois une philosophie et une initiation (voir Banquet 207a-209e, 210a-212a). Le Noûs s'intègre bien dans sa méditation religieuse et mystique. Le but de l'âme est de viser le Noûs pour atteindre l'Un (Dieu). Le Noûs est un moyen pour l'âme de se dépasser afin d'atteindre l'union.

Le Logos est conçu comme une grâce divine. Le multiple reçoit cette grâce qui lui donne la capacité de penser et de se manifester en tant qu'esprit (Heiler 1970 : 354; Plotin, Ennéades, VI, 7, 15-18). Le Logos de l'Unité est la Parole du Principe et il est à l'origine de la genèse des esprits; il est le point de jonction entre l'Acte créateur et les êtres créaturels qui remontent vers l'Origine. Cette quête de l'Origine se reflète au niveau humain par le mouvement de l'esprit vers les natures profondes et essentielles de la signification de la vie. C'est un mouvement d'élévation du profane au sacré ou de l'exotérique à l'ésotérique.

Exotérisme et ésotérisme

Les vérités métaphysiques des révélations prophétiques s'expriment dans un langage symbolique. Ainsi la réalité quintessenciée est voilée par des symboles; seul l'Intellect divin participant au monde angélique reçoit une Confortation perpétuelle de la Vérité absolue. La Connaissance de la Déité dépasse toute définition et elle est de nature supra-rationnelle, alors que la connaissance du monde métaphysique varie selon le niveau spirituel de chaque personne.

Selon une tradition (hadith)5 de l'Imam Muhammad al-Baqir (m. 114/ 732), il existe trois niveaux d'être humain selon le degré de connaissance :

(1)

Celui qui connaît l'exotérique (l'apparent) sans connaître l'ésotérique (le caché), est au rang des animaux ("il n'a pas la Parole").

(2)

Celui qui connaît l'ésotérique est un vrai fidèle (mu'min); il est au rang de ceux qui méritent le nom d'homme.

(3)

Enfin la connaissance de l'ésotérique de l'ésotérique est la connaissance propre aux anges.

La loi religieuse (shari`a) a une signification plus restreinte que le symbolisé; elle est un rayonnement extérieur et par-dessus tout un voile. Pour les Ismaéliens, ceux qui se fondent uniquement sur le sens littéral des livres révélés ne peuvent saisir l'essence de la Parole immuable, car les révélations peuvent être abrogées alors que la Parole divine reste inaltérable.

Les vérités exotériques aboutissent - dès qu'elles ne sont plus vivifiées par la présence intérieure de l'ésotérisme - à la négation de la dimension intérieure qui est le vrai sens de la religion (cf. Lc 11, 52). La sève de l'arbre revivifie le tronc et les nouvelles feuilles à chaque année; sans la sève, l'arbre se dessèche et la mort survient le réduisant en poussière. La dimension intérieure renouvelle la loi religieuse; sans l'ésotérisme, la révélation reste désuète. Dans l'ismaélisme, l'Imam est le Qayyim al-Qur'an (le Mainteneur du Qur'an). Il revivifie la révélation transmise par le Prophète; sans cette exégèse spirituelle (ta'wil ), la révélation serait incomplète et statique. C'est le rôle de l'Imam d'apporter la signification intérieure de chaque symbole et de faire revivre chez le fidèle (murid, celui qui veut) l'authentique islam. En l'absence de la sève, l'arbre meurt; de même, dans l'ismaélisme, en l'absence de l'Imam la religion perd sa raison d'être et l'édifice spirituel et religieux s'écroule.

La mise en parallèle de quelques concepts clarifie l'articulation de la pensée ésotérique musulmane : la descente de la révélation (tanzil ) et l'exégèse spirituelle (ta'wil ); la loi religieuse (shari`a) et la vérité intérieure (haqiqa); et finalement l'exotérique (zahir) et l'ésotérique (batin). La loi religieuse (shari`a) est une formulation linguistique restreinte de la vérité (haqiqa). Cette formulation reflète une époque, un savoir-faire, une capacité d'assimiler la vérité, etc. Le tableau suivant distingue la voie (tariqa) exotérique de la voie ésotérique. Les membres de la voie exotérique sont principalement préoccupés de remplir leurs obligations religieuses, alors que ceux de la voie ésotérique cherchent avant tout la vision de l'Ineffable.

Voie exotérique Voie ésotérique
Zahir (le visible) Batin (le caché)
Shari`a (loi religieuse) Haqiqa (vérité) de la shari`a
Tanzil (révélation) Ta'wil (exégèse spirituelle)
Importance accordée à la lettre du Ils recherchent la liberté et ils lan-
Livre, au jeûne et à la prière guissent d'être réunis à Dieu
Obligations religieuses Obligations religieuses et ascèse
Islam (soumission) Iman (foi)
Qawl (profession par la parole) et Qawl, niyya (intention) et `amal
`amal (action conforme à la lettre) (action conforme à l'esprit)
Orientés vers la vie matérielle Élévation spirituelle, oraison
Nazar (raisonnement discursif) `Aqlani (raisonnement pur)

Selon les Ismaéliens, celui qui se limite au sens exotérique du Livre révélé mutile la Parole de Dieu (Kalimat Allah) parce que le vrai sens de la révélation est intérieur. Celui qui méconnaît ou refuse ce sens intérieur est victime du drame de la "Parole perdue". Mulla Sadra Shirazi (m. 1050/ 1640) - un savant persan de la ville Isfahan reconnu comme un grand penseur shi`ite - différencie la Parole de Dieu et le Livre révélé : "La différence entre la Parole et le Livre correspond, en un certain sens, à la différence entre l'Impératif et l'Acte. L'Acte est dans le temps et est récurrent. L'Impératif créateur est exempt de changement et de renouvellement. La Parole n'est susceptible ni d'abrogation ni de substitution, à la différence du Livre" (Al-Shirazi 1964 : 198-199; Corbin 1970 : 58 n. 9).

Pour articuler leurs pensées, les communautés ésotériques musulmanes s'inspirent des révélations prophétiques et des traditions (ahadith); à ces sources s'ajoutent les maximes des membres de la famille du Prophète (ahl al-bayt). Ibn Khaldun (m. 737/1336-7) avait sans doute raison d'affirmer que les sufis (mystiques musulmans) s'étaient inspirés de la notion shi`ite de l'Imam infaillible (ma`sum) pour développer leur théosophie. Il relève que plusieurs sufis remontent leur chaîne de Maîtres (Shuyukh ou Mashayikh) au premier Imam `Ali (Ibn Khaldun 1274/1857 tome 2 : 164-165; Nicholson 1980 : vi; Nyberg 1919). Les premiers sufis étaient en contact avec les néo-Ismaéliens, ils étaient imprégnés de leur théosophie et de leur théorie de l'Axis mundi ou Pôle (Qutb), Pivot central autour duquel tourne l'univers. C'est ainsi que les premiers sufis de l'`Iraq se sont imprégnés des notions d'exotérique et d'ésotérique ainsi que celle de l'Imama (Ibn Khaldun 1274/1857 tome 3 : 73-74). À côté du Shaykh sufi, dont les qualités essentielles ressemblent à celles de l'Imam shi`ite, le Prophète a aussi un statut privilégié. Dans le sufisme, Muhammad est considéré comme le Logos ou la Lumière divine existant avant la création de l'univers; il est la source de toute vie actuelle et possible, il est l'Homme parfait, le support des Attributs divins (Nicholson 1989 : 51, 82-83). Le Logos prophétique est la source de la création de l'univers.

Origine et retour : mouvement de dilection

L'univers spirituel et physique créé à partir de l'Origine (premier Être) est en perpétuel mouvement. L'arc de descente correspond à l'acte de création dont l'aboutissement est l'humanité. La création est un processus de "descente" (tanazzul ) à partir de l'Origine. Cette descente donne naissance d'abord à une hiérarchie spirituelle (i.e., le monde angélique) à laquelle succède une hiérarchie cosmique. Au centre de ces deux hiérarchies se situe l'Ordre divin (Amr) représenté dans le Qur'an par le Kun, Sois!

À partir de l'homme s'effectue le retour au premier Être, symbolisé par l'arc de remontée. Le cycle de l'existence commence à l'Origine en suivant l'arc de descente jusqu'à l'homme, puis retourne à l'Origine (premier Être). L'âme humaine cherche à remonter les degrés de la hiérarchie pour retrouver son Seigneur (Malik) grâce au Nom divin (Ism). L'être humain, ayant été conçu à l'image de Dieu, n'a qu'à se connaître lui-même pour connaître son Seigneur. La Déité est au-delà du cycle de l'être et donc un voile la sépare du plérôme spirituel. Au sommet du plérôme spirituel se trouve l'Intellect primordial qui est l'Origine (Mabda' )6


Les Ismaéliens conçoivent la Déité comme étant au-delà de l'intelligibilité humaine et de toute description. Ils dépouillent la Déité, transcendant l'être et le non-être, des Attributs. Ils ne dénient pas l'existence des Attributs mais ne les attribuent pas directement à la Déité. Selon eux, les Attributs caractérisent les êtres créés. Pour Abu Hanifa al-Nu`man (m. 363/974), les Noms divins du Qur'an désignent les hudud (rangs des dignitaires). Les Noms ne s'appliquent pas à la Déité de la même manière qu'ils s'appliquent aux dénommés puisque les Noms ne s'attribuent qu'à ce qui est concevable (Al-Nu`man 1960 : 100). Chez Abu Ya`qub al- Sijistani (m. circa 390/1000), la Déité est totalement inaccessible, inconcevable et transcende toutes les qualifications (Al-Sijistani 1961 : 2; Al-Sijistani 1966 : 1). Il développe la double négation pour éviter deux pièges : le ta`til (dépouillement des Attributs divins) et le tashbih (anthropomorphisme). La Déité n'est pas le premier Être mais le super-Être. Elle n'est ni existante, ni non-existante (Al-Sijistani 1961 : 16). La Déité transcende l'être alors que les âmes humaines suivent le cycle de l'être.

Au cours de son évolution spirituelle, l'âme traverse une série de résurrections. Lors de chacune de ses résurrections, l'âme passe à un niveau plus achevé jusqu'à la Résurrection majeure (Qiyamat-i kubra ) ou "l'annihilation de toutes choses en Dieu, Fana' fi Allah". La Résurrection majeure représente la dernière étape de la création. Elle fait remonter toute la création le long de l'arc ascendant à son Origine, car "toute chose périra à l'exception de sa Face" (Qur'an XXVII : 58).

Le cycle de l'être peut être compris en faisant intervenir les notions de Prophétie et d'Imama. L'arc de descente symbolise la révélation (tanzil ) qui est la descente de la vérité (haqiqa) du monde supérieur au monde inférieur. L'arc de remontée symbolise l'exégèse spirituelle (ta'wil ) qui consiste en un retour à la signification originelle. Dans le cycle de la révélation, le Prophète est l'Énonciateur (Natiq) d'une nouvelle révélation (risala) alors que l'Imam est silencieux (samit).

Dans le cycle de l'exégèse spirituelle, il n'y a plus de nouvelle révélation qui abroge les précédentes, par contre l'Imam apporte l'exégèse spirituelle des révélations antérieures. L'Imam est le Guide spirituel par excellence permettant à ses fidèles de retourner à l'Origine. Il détient la clef de tous les Logoi puisqu'il est, dans l'ismaélisme nizarien, le lieu d'apparition du Logos suprême (Kalima-i a`la) qui se manifeste à tous les niveaux de la hiérarchie spirituelle (Tusi 1950 : 82, 95).


Comme dans l'ismaélisme nizarien, pour al-Shahrastani (m. 1086/ 1153) chaque ange a son Logos (voir Steigerwald 1997, 1996a). Toute existence subsiste dans le Logos divin (Kalimat Allah) et est préservée dans l'Ordre divin (Amr Allah). Les différents Logoi sont les causes des êtres spirituels. Les dignitaires de la hiérarchie spirituelle comme l'Imam, le Hujjat (Preuve) et le da`i (prédicateur) sont des épiphanies correspondant à différents niveaux de Logoi. Le Logos divin agit comme un guide accélérant l'ascension du fidèle en l'aidant à surmonter tous les obstacles. Le Majlis d'al-Shahrastani présente plusieurs similarités avec le Kitab `alim wa al-ghulam (Le livre du sage et du disciple), un récit ismaélien du Xe siècle, généralement attribué à Mansur al-Yaman (m. 302/914) ou parfois à son fils ou petit-fils. Ce dernier traité est très caractéristique du style initiatique. C'est un des rares documents qui témoigne du caractère très ésotérique de la pensée fatimide. Nous retrouvons dans cette oeuvre plusieurs affinités avec la littérature nizarienne de la période de coalescence à Alamut. Le but de l'initiation ismaélienne est d'amener l'initié à retrouver la Parole perdue par la reconnaissance de l'ésotérisme.

Dans le Kitab `alim wa al-ghulam, chaque fidèle qui désire cette quête intérieure personnelle reçoit un Nom qu'il fera revivre à l'intérieur de son être le Logos divin, accélérateur de son ascension spirituelle (Corbin 1970 : 91-92; Mansur al-Yaman(?) 1983 : 46, lignes 5-8). Il a le devoir de ne pas divulguer ce Nom à quiconque. C'est peut-être à cela qu'al-Shahrastani fait allusion lorsqu'il parle de l'ange qui a la charge du Logos. De plus, le Logos permet l'évolution spirituelle du fidèle, de même chez al-Shahrastani, il a le même effet sur l'ange. Dans son Majlis il écrit :

Il plaça des Logoi (Kalimat) nobles sur la langue des anges; Il envoya de précieuses révélations sur la langue des Prophètes. [. . .] Avec chaque existant il y a un ange, avec chaque ange il y a un Logos (Kalima) qui l'active; l'ange en supporte la charge et le Logos fait le travail de l'ange. La racine de Kalima est : kaf, lam, mim. La racine de malak (ange) est mim, lam, kaf. Chacun d'eux est l'inverse de l'un et de l'autre. (Al-Shahrastani 1378HS/1990 : 100)

Conformément à la tradition ismaélienne de la balance des lettres (mizan al-huruf), al-Shahrastani spécule sur les lettres arabes en constatant que malak et Kalima constituent l'inverse l'un de l'autre. Est-ce un indice de complémentarité, dans la mesure où il n'existe pas d'ange (malak) sans Logos (Kalima) et que l'ange est le lieu d'apparition du Kalima?

Pour se mettre en quête du Logos divin, il faut que l'être humain s'instruise et reconnaisse l'importance de l'ésotérique sans négliger l'exotérique. La vie matérielle et la vie spirituelle ont chacune leur importance. L'être humain doit chercher l'équilibre et à vivre en harmonie avec son environnement, ainsi il doit accomplir l'unité entre l'âme et le corps (Steigerwald 1986 : 115). Il ne doit pas négliger ces deux aspects de sa vie. Une tradition du Prophète Muhammad insiste sur l'acquisition de la connaissance qui éclaire la voie en toutes circonstances.

Il faut acquérir des connaissances, car celui qui les acquiert accomplit un acte de dévotion, celui qui en parle loue le Seigneur, celui qui étudie adore Dieu, celui qui enseigne fait l'aumône et celui qui adapte son savoir aux choses, accomplit un acte d'adoration divine. La connaissance rend son possesseur capable de distinguer ce qui est défendu (mal?) de ce qui ne l'est pas (bien?). Elle éclaire le chemin des cieux; c'est notre ami dans le désert, notre compagnon dans la solitude, notre camarade lorsque nous sommes privés de nos amis; elle (la connaissance) nous guide vers le bonheur, nous soutient dans le malheur, nous fait briller en société; nous sert d'armature contre nos ennemis; avec l'éducation, le serviteur de Dieu s'élève jusqu'aux hauteurs de la bonté et d'une noble situation, il peut s'asseoir avec les souverains de ce monde et atteindre la perfection du bonheur dans le suivant. (Ameer Ali 1981 : 360-361)

Recevoir l'enseignement est essentiel à l'évolution spirituelle de l'être. Cheminer le long de la voie droite est très laborieux. Il faut savoir laisser de côté les préoccupations matérielles. C'est un périple qui peut durer plusieurs années sans que le pèlerin ne puisse atteindre la Lumière. `Aziz al-din al-Nasafi (VII/XIIIe siècle)EN77, écrivait dans son Kitab al-insan al-kamil (Le livre de l'homme parfait) :

Ô Derviche! Atteindre cette Lumière, voir cet Océan, est chose difficile à l'extrême; c'est là le rang suprême. Pour y accéder, il faut s'astreindre à l'ascèse et au travail assidu, avec constance, des années durant. L'ascèse passagère de celui qui est préoccupé par les affaires du monde est vaine elle n'ouvre aucune porte. (Al-Nasafi 1962 : 287, ligne 16, 288, ligne 2; Al-Nasafi 1984 : 232)

Al-Nasafi poursuit en nous révélant que le fidèle doit concentrer ses énergies sur son objectif et il doit purifier son âme avant d'arriver à une vision "monoréaliste" du monde.

Ô Derviche! Si tu as l'énergie spirituelle de cette entreprise et veux t'y adonner, renonce d'abord à toute autre. Brise les idoles; n'aie plus qu'une seule direction, une seule qibla; acquiers la concentration et le détachement. Alors, au commerce d'un Sage, de nombreuses années durant, montre-toi, constant en ascétisme et en effort, afin, en premier lieu, de rendre pur et limpide le miroir de ton corps - que celui-ci devienne transparent et apte à recevoir la Lumière. C'est là le début de l'épreuve. Ensuite, par le polissage du travail assidu, rends pur et brillant le miroir de ton coeur et la Lumière de Dieu viendra s'y refléter. C'est là le terme de l'épreuve. Une fois la Lumière de Dieu apparue, le pèlerin sait et voit avec certitude que Dieu est en tout. (Al-Nasafi 1962 : 288, lignes 3-13; Al-Nasafi 1984 : 232)

L'être humain ne doit pas perdre son énergie dans sa vie matérielle. Il doit développer sa foi, source de paix intérieure. Une fois qu'il a satisfait ses besoins élémentaires, il doit se consacrer à son âme impérissable, source de vie. La simplicité de la vie matérielle du sufi (mystique musulman) contraste avec la richesse intérieure de son âme et cette simplicité met en relief l'attitude indispensable pour la quête de son être. Cette voie vers la Lumière n'est ni aride ni épuisante, mais elle est étroite et sélective; elle exige les qualités intrinsèques les plus hautes de l'âme. Le sufi qui désire aller plus loin, afin d'avoir une vision mystique de la Déité, doit se concentrer et méditer sur le Nom suprême (Ism-i a`zam)

Ism-i a`zam (Nom suprême) et le Pir (Sage)

Al-Nasafi distingue le Nom vrai du nom figuré :

Sache que le nom est de deux sortes : le Nom vrai et le nom figuré. Le Nom vrai de toute chose est le signe réel de cette chose : il lui est inhérent et la distingue des autres. Le nom figuré de toute chose est le signe conventionnel de cette chose : il ne lui est pas inhérent il lui est appliqué; il est le nom connu de cette chose. D'où la querelle entre les théologiens : le nom est-il identique au nommé, ou bien est-il différent? Celui qui dit que le nom est le nommé même, entend le Nom vrai. Celui qui dit que le nom est autre que le nommé, entend le nom figuré. (Al-Nasafi 1962 : 280, ligne 16-281, ligne 5; Al-Nasafi 1984 : 226)

Chez al-Nasafi, les Noms de Dieu représentent la face de Dieu (Al-Nasafi 1962 : 283, ligne 12; Al-Nasafi 1984 : 228). Ainsi "celui qui dépasse la Face de Dieu, parvient à l'essence de Dieu et voit cette essence" (Al-Nasafi 1962 : 285, lignes 2-3; Al-Nasafi 1984 : 229).

Dans le Kitab `alim wa al-ghulam (Le livre du sage et du disciple), le Sage explique que le Nom que l'initié va recevoir est son Nom réel et que ce Nom ne lui appartient pas mais qu'il est plutôt sa propriété. C'est un Nom porte-Dieu qui rend l'homme libre. En fait le rapport qu'il y a entre le nom et le dénommé (Ism et musamma) est le même rapport qu'il y a entre le Seigneur (Rabb) et son serviteur (marbub)8. L'imposition du Nom réel a pour but de faire revivre chez l'initié le Logos divin dont il doit garder le secret. Si jamais il trahissait ce Nom en le dévoilant au profane, il revivrait le drame de la Parole perdue. Les méthodes secrètes pour se garder des non-initiés est de recouvrir d'un voile de symboles les discussions et les écrits. Le Sage (Shaykh) dit au disciple : "Je te recommande la piété vigilante (taqwa) envers Dieu qui t'a créé; je te recommande la garde du dépôt (amana) confié dont tu as désormais la charge" (Corbin 1970 : 95; Mansur al-Yaman(?) 1983 : 47, lignes 19-20). Les Ismaéliens associent le dépôt au Logos. Ils s'inspirent d'un verset qur'anique (XXXIII : 72) : "Oui, nous avions proposé le dépôt (amana) de la foi aux cieux, à la terre et aux montagnes, ceux-ci ont refusé de s'en charger, ils en ont été effrayés. Seul, l'homme s'en est chargé, mais il est injuste et ignorant".

Dans l'ismaélisme, il est inutile de décrire l'essence divine qui dépasse l'entendement humain. Al-Nasafi va dans le même sens : "Quand le pèlerin arrive à cette Lumière illimitée, infinie, à cet Océan sans fond, sans rive - cette Lumière même, par l'éloquence silencieuse, devient son guide. Sache que celui qui parle de cette Lumière ne parle jamais que de sa Face; car nul de son essence n'est informé, ni ne peut l'être" (Al-Nasafi 1962 : 288, ligne 15-289, ligne 1; Al-Nasafi 1984 : 233). Pour al-Nasafi, il y a trois niveaux hiérarchiques distincts dans sa conception divine correspondant à une Essence, une Face et une Âme. Les Attributs divins sont au plan de l'Essence, les Noms au plan de la Face et les Actes au plan de l'Âme. Celui qui parvient à la Face divine n'est pas nécessairement un avec l'Essence divine. Cette théorie se distingue de celle de l'ismaélisme classique où les Attributs divins sont au niveau du premier Intellect. Par cette compréhension ismaélienne, la Déité reste au-delà des Attributs.

Durant la période de coalescence à Alamut dans la région du Daylaman (nord-ouest de la mer Caspienne), le néo-ismaélisme et le sufisme avaient une commune théosophie et un respect mutuel existait entre ces voies (tara'iq). Un échange fructueux de part et d'autre était propice aux différentes relations qui se tissaient. Cette affinité a grandement contribué à la sauvegarde des oeuvres ismaéliennes lors des invasions mongoles. Durant cette période tumultueuse et de vicissitudes, les Sages (Piran) nizariens ont initié à la signification intérieure de la religion. Certains d'entre eux ont migré en Inde au VIIIe/XIVesiècle pour propager la foi ismaélienne. Ils ont développé durant plusieurs siècles une littérature qui constitue une excellente synthèse entre l'hindouisme et l'ismaélisme. Cette littérature est appelée gnan signifiant "connaissance contemplative ou méditative", la racine de ce terme est d'origine sanskrit jña (connaître). Dans les odes mystiques (gnans), le Prophète Muhammad est appelé Guru du monde (Imam Shah 1972 : 475; Sadr al-din 1948 : 114), il guidera chaque fidèle dans son ascension spirituelle. L'initié en se concentrant sur l'Ism-i a`zam (Nom suprême)9, qui est la Lumière de la Prophétie (Nur-i Nubuwwa), atteindra le niveau d'Ahmad (l'un des noms du Prophète Muhammad), puis lorsqu'Ahmad aura perdu son "mim", son "identité", il deviendra Un (Ahad)10. Dans cette ode mystique (gnan), la lettre mim typifie le Prophète Muhammad. À l'époque du sufi Farid al-din `Attar (m. circa 626/ 1229), une tradition sainte (hadith qudsi ) circulait dans le monde musulman dans laquelle Dieu aurait dit : "Je suis Ahmad sans la lettre mim, i.e., l'Un, Ahad; Ana Ahmad bila mim". Mahmud Shabistari (m. circa 720/ 1320) dans Ghulshan-i raz affirmait que : "de Ahmad à Ahad la seule différence est le mim. - Le monde est submergé dans cette seule lettre mim" (Schimmel 1990 : 97, 193 n. 106). Muhammad, appelé Ahmad, est symbolisé par la lettre mim. Le Logos prophétique est la source de la création cosmique et aide les êtres humains dans leur ascension spirituelle.

Le salut ne peut être atteint que par une purification de l'âme; tout en méditant sur le Nom du Seigneur, le fidèle remplit son coeur de cette Lumière divine11. La précieuse clef de la vision (didar) est le Nom suprême (Ism-i a`zam) qui constitue un lien intime entre le Maître (Murshid) et son fidèle (murid) (Asani 1977 : 71 n. 1). Dans toute initiation spirituelle, c'est le Sage (Pir) qui donne au fidèle l'Ism-i a`zam (Khakee 1972 : 35). Durant l'initiation, le Pir disait de pratiquer la réminiscence de Pir-Shah, symbole bivalent du Pir (i.e., Hujjat-i Imam, Preuve de l'Imam) et du Shah (i.e., Imam) (Khakee 1972 : 58 n. 101; voir aussi Allana 1984 : 325; et Shams 1948 : 59). L'évolution spirituelle du fidèle (murid ) se fait par la réminiscence (dhikr) du Nom divin; c'est une alchimie intérieure qui se produit dans le coeur du fidèle (murid ); le Nom suprême (Ism-i a`zam) jouera le rôle de la Pierre philosophale qui transmutera l'âme, pour la préparer à s'unir avec l'Imam. L'Ism-i a`zam est la Lumière de Muhammad (Shams 1948 : 59), mais aussi le Nom de l'Imam (Shams 1948 : 58).

Cette réminiscence purifie l'âme du disciple, ainsi le coeur est prêt à recevoir la vision mystique (didar)12 de l'Imam. Cette forme de concentration sur la présence divine vise l'identité avec le Logos divin; elle affirme la continuité ontologique de l'Esprit, source principale de tous les êtres. L'Ism-i a`zam (Nom suprême) devient le catalyseur menant à la connaissance de l'Être. Le Nom suprême devient le Guide spirituel (Guru)13 qui oriente le fidèle (murid ) dans son pèlerinage intérieur vers l'Imam éternel. Grâce au Logos, les obstacles s'anéantissent le long de la voie mystique14; son but ultime est le salut par excellence, l'annihilation de son être dans la Déité!

Le Murshid (Maître) guidant vers l'annihilation en la Déité

Tor Andrae (1917), dans Die Person Muhammads in Lehre und Glauben seiner Gemeinde, avait analysé le Logos dans la philosophie musulmane; il retrace ce concept dans la philosophie hellénique et montre que l'idée de Theîos Anthrôpos est passée dans l'islam shi`ite à travers le concept de l'Imam qui est la manifestation de la Déité sur terre.

Dans la philosophie shi`ite ismaélienne, l'essence divine reste insondable et ne peut être qualifiée par les Attributs. Seul le Maître (Murshid), support des Noms et des Attributs divins, donne une juste description de la Déité. Après une longue réflexion sur Dieu, le néophyte du Kitab `alim wa al-ghulam (Le livre du sage et du disciple), conclut ainsi : "cette fois la Parole est partie; il n'y a plus de parole à dire [. . .]. La Parole suppose un sujet parlant, un sujet qualifié par le discours. Or Dieu transcende tout Attribut" (Corbin 1970 : 116; Mansur al-Yaman(?) 1983 : 64, lignes 16, 20).

Puis son initiateur s'empresse à lui expliquer que lorsque les êtres humains viennent au monde, ils sont ignorants de l'objectif principal de la vie et que la Déité dont la nature est indicible a certainement compensé cette tare. Les Imams qui jouissent d'une "Connaissance directe inspirée de Dieu" (`Ilm laduni) sont là pour équilibrer et faire le contrepoids à l'ignorance humaine. Les Imams, preuves de l'Équité divine, doivent toujours être présents sur terre pour initier, ceux qui le désirent, au sens ésotérique du Logos15. Le Verbe divin indicible est formulé en un langage audible et compréhensible par l'Imam. Derrière ce Verbe humain se cache la signification du Verbe divin. Si l'on refuse de reconnaître la lignée des Imams, le sens ésotérique de la Parole est perdu.

L'union mystique entre le fidèle (murid) et le Maître (Murshid) symbolise l'amour profond et le lien intense entre l'Amant et l'aimée (Asani 1977 : 27). L'amour qui unit le murid au Murshid se réalise à travers la Connaissance. Ce n'est qu'à travers l'Intellect divin, que l'homme s'élève vers son Origine. L'état de béatitude ne serait nullement être l'objet d'un "choix" mais c'est une Grâce divine, car le fini ne serait choisir l'Infini. L'Imam contemporain des Ismaéliens nizariens, Agha Khan IV, décrit le rôle de l'Intellect divin et de l'intellect humain :

L'Intellect divin, `Aql-i kulli, à la fois transcende et informe l'intellect humain. C'est cet Intellect qui permet à l'homme de tendre vers deux buts dictés par la foi, soit : qu'il devrait réfléchir sur l'environnement qu'Allah lui a donné, et qu'il devrait se connaître. C'est la Lumière de l'intellect qui distingue l'humain intégral de l'humain-animal, et le fait de développer cet intellect demande un libre arbitre. L'homme de foi qui omet de poursuivre la recherche intellectuelle, n'aura qu'une compréhension limitée de la création d'Allah. En effet, c'est l'intellect de l'homme qui lui permet d'élargir sa vision de cette création. (Agha Khan IV 1985 : 11)

Comme dans le Corpus Hermeticum (traités I, 21; IV, 3ss.; XII), tous les êtres humains ont reçu l'intellect en puissance, mais il dépend d'eux de le mettre en acte. L'Intellect divin est à la fois le Voile et le Nom suprême (Ism-i a`zam) (Corbin 1982 : 48); ce niveau correspond à celui du Prophète (Nabi ) ou du Sage (Pir); il est le seul à connaître la Déité qui ne se révèle qu'à travers lui (une idée se retrouve aussi dans Jn 6, 46); il est le Nom suprême que le fidèle récite continuellement pour s'unifier à lui, avant de se fondre dans la Déité.

La bivalence du Logos nous rappelle à la fois la Lumière de l'Imama (Nur-i Imama) et la Lumière de la Prophétie (Nur-i Nubuwwa); ces deux Lumières sont consubstantielles. La nature ineffable de `Ali, Prototype de tous les Imams, se révèle par son Nom qui est l'aspect extérieur (zahir) de sa vraie nature (batin). Par l'intermédiaire de son Nom, le croyant reçoit la connaissance des réalités spirituelles (haqa'iq).

Le Logos divin est la forme extérieure de la Lumière de l'Imam éternel qui est au-delà de tout Attribut. Il n'est qu'un voile qui cache l'essence divine. L'homme ne peut connaître l'essence du Sage (Pir) que s'il pratique la réminiscence du Nom suprême (Ism-i a`zam); l'ascèse lui permettra d'avoir en premier lieu une vision mystique des différents rangs (hudud). Le long de son cheminement spirituel, les voiles disparaissent16 et finalement il sera ébloui par la Lumière de la Prophétie (Nur-i Nubuwwa). Une fois uni avec cette dernière, le fidèle (murid) est prêt à recevoir le didar (vision mystique) de l'Imam éternel.

Illumination et vision mystique (didar)

Le long de la voie, le fidèle (murid ) perçoit une Lumière éclatante qui le guide durant son périple de perfection. La tension entre la clarté et l'obscurité est une imagerie linguistique qui exprime le changement radical qui s'opère dans l'âme en quête de sa nature originelle. Cette quête s'exprime par l'aspiration de l'âme vers le Divin. Cet acte contemplatif est comparable à une délectation qui remplit le coeur d'une joie indicible. L'apothéose n'est atteinte que lorsque le pèlerin découvre le Mystère divin. Al-Nasafi explique que lorsque le fidèle voit cette Lumière divine, il devient conscient de la présence de Dieu en toute chose :

Ô Derviche! Il faut atteindre cet Océan englobant, cette Lumière illimitée et voir cette Lumière. Il faut regarder sous cette Lumière afin d'être délivré de l'idolâtrie. [. . .] Lorsque tu parviens à cette Lumière et la vois, tu sais et vois avec certitude qu'elle est le support du monde des étants; qu'il n'est pas un atome d'entre les atomes qui ne participe à cette Lumière divine, qui ne soit englobé par elle, qui n'en soit averti, qui n'en soit l'expression. (Al-Nasafi 1962 : 286, lignes 3-10; Al-Nasafi 1984 : 231)

La vision du monde d'al-Nasafi est "monoréaliste". Toutes les créatures sont des manifestations de l'Un et font partie de l'Un. La vision mystique transforme totalement la perception du fidèle. Il ne voit plus les choses qui l'entourent de la même manière qu'avant. Il est gratifié de l'oeil divin qui lui permet de voir les choses dans leur vraie nature.

Durant la période néo-ismaélienne à Alamut, les Nizariens ont associé la vision mystique (didar) à la "naissance spirituelle". La Résurrection (Qiyamat), "c'est essentiellement la Résurrection des âmes, la ``naissance spirituelle'', laquelle s'accomplit par l'initiation au sens spirituel caché des révélations divines. Celui qui a été conduit à réaliser en lui-même ce sens spirituel, n'a plus à craindre la ``seconde mort'', cette mort de l'âme qui peut faire suite à l'exitus physique" (Corbin 1965 : 296).

Ainsi les auteurs de cette riche période décrivent l'Imam comme le Résurrecteur des âmes. Abu Ishaq-i Quhistani (m. circa X/XVIe siècle) dans son Haft Bab, cite la proclamation de la Résurrection de l'Imam Hasan `Ali dhikri-hi al-salam à Alamut le 8 août 559/1164 :

Ô vous, les êtres qui peuplez les univers! Vous, génies, hommes et anges! Sachez que Mawla-na (notre Seigneur) est le Résurrecteur (Qa'im al-Qiyama). Il est le Seigneur des êtres, il est le Seigneur qui est l'existence absolue (wujud-i mutlaq), excluant ainsi toute détermination existentielle, car il les transcende toutes. Il ouvre la porte de sa Miséricorde par la Lumière de sa Connaissance, il fait que tout être soit voyant, entendant, parlant, vivant pour l'éternité. (Quhistani 1959 : 41, lignes 13-17, traduit par Henry Corbin 1965 : 299-300; il a aussi consulté Khayr-Khwah-i Harati 1935 : 115-116)

Le raisonnement discursif (nazar) n'est pas suffisant pour comprendre la substance de l'Imam éternel, il faut suivre le Sage (Pir), qui est consubstantiel à l'Imam éternel. Par sa Confortation spirituelle (Ta'yid) et son raisonnement pur (`aqlani), le Pir est capable de transmettre l'enseignement de l'Imam (ta`lim) au fidèle. L'homme laissé à lui-même est incapable de percevoir les réalités spirituelles (haqa'iq), car celui-ci associe à la déité des qualités anthropomorphiques. L'incapacité de l'être humain à embrasser toute la Vérité est mieux illustrée par la légende bouddhiste reprise par Jalal al-din Rumi (m. 672/1273) dans les Mathnawi:

L'éléphant se trouvait dans une maison obscure : quelques indous l'avaient amené pour l'exhiber. Afin de le voir, plusieurs personnes entraient, une par une dans l'obscurité. Étant donné qu'on ne pouvait le voir avec les yeux, chacun le tâtait dans le noir avec la paume de la main. La main de l'un se posa sur sa trompe; il dit : "Cette créature est comme un tuyau d'eau". La main d'un autre toucha son oreille : elle lui apparut semblable à un éventail. Un autre, ayant saisi sa jambe, déclara : "Je trouve que la forme de l'éléphant est celle d'un pilier". Un autre posa la main sur son dos et dit : "En vérité, cet éléphant est comme un trône". De même, chaque fois que quelqu'un entendait une description de l'éléphant, il la comprenait d'après la partie qu'il avait touchée. (Rumi 1982 : tome 4 : 71-72, original versets 1259-1270; De Vitray-Meyerovitch 1977 : 160)

Cette légende nous éclaire sur les différentes perceptions que chaque humain a de l'éléphant et qui sont partielles; car l'éléphant n'est ni un tuyau d'eau, ni un éventail, ni un pilier, ni un trône. Similairement l'être humain ne peut comprendre la déité, car il est limité par sa nature.

Conclusion

Dans l'anthropologie ismaélienne, l'être humain ne peut connaître l'essence du Sage (Pir) que s'il pratique la réminiscence (dhikr) du Nom suprême (Ism-i a`zam), lui permettant ainsi d'avoir une vision mystique de la Lumière de la Prophétie (Nur-i Nubuwwa). Une fois uni avec le Pir, il est prêt à recevoir le didar (vision) de l'Ineffable. Il faut s'élever à la Connaissance du Pir pour appréhender pleinement l'essence divine et regarder à travers ses yeux pour admirer la magnificence de sa Lumière; cette compréhension n'est accordée que par sa Grâce - (1 Jn 3, 2 et 1 Co 13, 12). Le caractère propre de la vision mystique est le secret. Il doit demeurer secret sous peine de s'évanouir.

Comme la plupart des fidèles n'ont pas la capacité d'embrasser la substance de l'Imam éternel; il restera le mystère que chaque fidèle (murid ) goûtera un jour dans sa vie, mais ne pourra jamais dévoiler complètement, car la vision (didar) est le fruit d'une expérience spirituelle profonde et indicible. L'Agha Khan III (m. 1376/1957), Imam des Ismaéliens nizariens, dans ses Mémoires met en évidence le devoir de chaque être humain de revivifier l'étincelle divine qui est présente dans chaque personne :

L'homme se doit de ranimer et d'entretenir l'étincelle divine qui est en lui. La voie de l'accomplissement, de l'accord profond de chaque être avec l'univers qui l'entoure, est relativement aisée pour quiconque croit fermement et sincèrement comme je le fais moi-même, que la Grâce divine a mis au coeur de l'homme le pouvoir d'illuminer le réel et de se fondre dans lui. [. . .] Toute satisfaction durable, tout contentement profond ne peuvent être atteints que par l'oubli de soi- même, la fusion du sujet avec l'objet, dans l'harmonie du corps, de l'âme et de l'esprit. Et parvenus aux plus hauts sommets, tous ceux qui croient à un Être suprême sont enfin libérés des liens pesants du moi subjectif par la prière et la méditation; illuminés par la glorieuse Lumière de l'éternité dans laquelle toute conscience temporelle et terrestre se fond pour devenir à son tour éternelle. (Agha Khan III 1955: 402-403; Agha Khan III 1954 : 334-335).

L'être humain doit développer sa foi par la prière (Steigerwald 1996b : 55-77; 1995 : 113-133) et l'ascèse. Par la méditation sur le Logos divin, il doit rechercher la Lumière divine dans son coeur. La prière et la méditation restent fondamentalement des entretiens amoureux entre le croyant et Dieu. Grâce à ces entretiens spirituels réguliers, l'âme s'élève à Dieu et parvient à son exitus.

Il existe un accord profond entre la pensée ismaélienne et le verset de l'Évangile de Jean (1, 1-5) qui conçoit le Logos comme la source de la création du monde. L'exégèse chrétienne identifiera le Logos au Christ, de même l'exégèse ismaélienne identifiera le Logos à la Lumière de la Prophétie (Nur-i Nubuwwa). Le Christ en tant que porteur de la Lumière prophétique représente aussi le Logos dans l'ismaélisme.

Les Ismaéliens qui se considèrent comme les héritiers de la tradition néo-platonicienne, intègrent plusieurs éléments néo-platoniciens dans leurs propre philosophie du Logos. Cette dernière est intimement reliée à la dimension ésotérique de la religion révélée par l'Imam (le Guide divin). Le Logos joue un rôle primordial dans l'ascension spirituelle du croyant. Par la méditation sur le Logos, le disciple recherche l'annihilation (fana' ) par la contemplation de la Lumière divine de l'Imam éternel. L'Imam fait renaître spirituellement le croyant et l'aide dans sa quête de subsistance dans Allah.

L'ismaélisme a hérité de plusieurs idées de Plotin et de Porphyre. La pensée plotinienne est motivée par son désir de s'unir au Divin, cette vision mènera l'âme à se fondre dans l'Un. De même les Ismaéliens nizariens seront motivés par l'idée de la vision (didar) du Pir (Sage), lieu d'apparition de la Lumière prophétique, qui leur permet d'accéder à la vision de l'Imam éternel. La clef de la vision est le Logos, la voie royale menant à l'union en Dieu.

Chez Plotin, le Logos est identifié au Noûs, l'Intellect universel. De même chez les Ismaéliens nizariens, il est identifié à l'Intellect divin, homologue du Pir dans la hiérarchie spirituelle. Chez les Ismaéliens comme chez Plotin, le Logos est associé à la notion de Grâce. Chez Plotin, le but de l'âme est de s'élever vers le Noûs (Logos) pour se fondre dans l'Un. De façon similaire, chez les Ismaéliens nizariens, le but du fidèle est de s'unifier au Pir, manifestation du Logos, pour aller vers l'Un. Le Logos, dans la philosophie ismaélienne comme celle de Plotin, comporte deux aspects : l'un relié au Fiat créateur (Ibda` ), l'équivalent du Kun (Sois!) qur'anique, à travers lequel le monde intelligible et le monde physique prennent forme, et l'autre comme un catalyseur du retour à l'Origine bouclant ainsi le cycle de l'être.

Une comparaison plus approfondie de la pensée plotinienne et ismaélienne devrait certainement être entreprise. Dans l'ismaélisme, le Logos suprême (Kalima-i a`la) se manifeste à tous les niveaux de la hiérarchie spirituelle, le fidèle assume la charge du Logos et il a le devoir de ne pas le divulguer au profane. Celui qui méconnaît la distinction entre l'extérieur (zahir) et l'intérieur (batin) aura de la difficulté à préserver le secret du Logos.

Selon les Ismaéliens, pour connaître et comprendre le sens du Logos, il est nécessaire de reconnaître l'Agent de perfection de l'époque (i.e., l'Imam al-zaman). Car c'est par lui que le Verbe divin est proféré en un verbe humain audible. D'après leur interprétation, il y a toujours eu des Imams depuis le début de la création. Ainsi le temps est rythmé en mégacycles qui sont eux-mêmes divisés en cycles mineurs. Dans ce présent cycle mineur, il y a eu six principaux Prophètes accompagnés chacun par un Imam (Adam/Seth, Noé/Shem, Abraham/Ismaël, Moïse/Aaron, Jésus/ Simon-Pierre et Muhammad/`Ali). Avant le Prophète Muhammad, les Imams n'étaient pas plénipotentiaires, mais Muhammad a mis le Sceau à la Prophétie (Khatm al-Nubuwwa) et depuis lors les Imams jouent un rôle plus apparent. Selon leur tradition, l'institution des Imams (Imama) est ininterrompue et se perpétuera pour transmettre la guidance divine.

Notes

SN11

Le système de transcription utilisé dans cet article est celui de la nouvelle édition de l'Encyclopédie de l'islam sauf pour le dj et le k que nous avons remplacés respectivement par le j et le q. Nous n'avons pas souligné le dh, kh, sh. . . Lorsque nous donnons des dates, nous indiquons en premier la date hégirienne suivie de la date chrétienne correspondante. La majorité des versets qur'aniques viennent de la traduction de Denise Masson (1967), sauf dans le cas où le contexte de la traduction ne convient pas. Pour la littérature gnanique, nous avons utilisé le système de transcription utilisé par Ali Sultaan Asani (1992 : 680-683).

SN22

L'histoire ismaélienne peut se diviser en six importantes phases : (i) la première s'étend de l'Imam `Ali (m. 40/661) à l'Imam Ja`far al-Sadiq (m. 148/765). Une scission a partagé les shi`ites en deux groupes : les duodécimains qui suivent Musa al-Kazim (m. 183/799) et les Ismaéliens qui suivent Isma`il (m. circa 145/762 ou plus tard); (ii) la seconde période d'Isma`il à Radi al-din `Abd Allah est la période préfatimide. Les Imams étaient cachés (masatir); (iii) la période fatimide commence avec `Ubayd Allah al-Mahdi; cette dynastie s'est établi en Ifriqiya. À la mort d'al-Mustansir bi-Allah (m. 487/1094), une scission survient entre les Ismaéliens occidentaux (les Musta`liens) et les Ismaéliens orientaux (les Nizariens). La lignée des Califes musta`liens se termine avec al-`Adid (m. 567/1171); (iv) la période de la coalescence à Alamut s'étend de Nizar (m. 489/1096) à Rukn al-din Kurshah (m. 655/1257) et elle est suivie par la période post-Alamut qui se chevauche avec la période suivante, les événements se déroulent au Quhistan (au sud du Khurasan); (v) la période gnanique commence avec Shams al-din Muhammad et se termine avec Khalil Allah III (m. 1233/1818) dans le sous-continent indo-pakistanais; (vi) la période moderne commence avec le premier Agha Khan (m. 1298/1881) et se poursuit avec l'actuel Agha Khan IV.

SN33

Il y aurait eu cinq Hermès dont le dernier est Thoth adoré comme Dieu par les Égyptiens (Tat en grec, Toz au Moyen Âge latin) identifié aussi avec le Dieu latin Mercure (Festugière 1949, tome 2 : 49; Gilson 1986 :11, 109-110); ce personnage est associé à Idris et à Khidr dans les traditions islamiques. Dans l'ismaélisme, Khidr représente le Sage (Pir) ou la Preuve de l'Imam (Hujjat-i Imam) chargé d'initier à la Gnose des révélations. Khayr-Khwah-i Harati, Qita`at #27 (copie personnelle de Henry Corbin) citée dans Corbin 1961 : 31 n. 18. Selon Yves Marquet (1973 : 472), Hermès serait le dernier Imam du cycle de l'Adam biblique qui annonce le déluge de Noé.

SN44

Il existe un principe de similitude frappant entre Hermès et le niveau spirituel du Hujjat de l'ismaélisme nizarien qui remplace l'Imam durant les cycles d'occultation. Tous deux sont symbolisés par la Lune (Quhistani 1959 : 43).

SN55

Ya`qub Al-Kulayni, Kitab al-usul min al-kafi : kitab al-Hujja (Corbin 1970 : 73-74; Mansur al-Yaman[?] 1983 : 31) : Le disciple réalise qu'il y a trois degrés (tabaqat) de connaissance (`ilm) : celui de l'exotérique (zahir), celui de l'ésotérique (batin) et celui de l'ésotérique de l'ésotérique (batin al-batin); Henry Corbin met en parallèle cette constatation avec la tradition de Muhammad al-Baqir.

SN66

Les Ismaéliens préfèrent utiliser le terme Mubdi` (Instaurateur) pour la Déité (Absconditum) qui est au-dessus du Mabda` et en dehors de la division de l'Être.

SN77

`Aziz al-din al-Nasafi est considéré par les Ismaéliens comme un des leurs (Corbin 1986 : 142). Une de ses oeuvres intitulée Zubdat al-haqayiq a été transmise par les Ismaéliens du Badakhshan. Les récentes recherches n'ont pas réussi à démontrer son identité ismaélienne. Néanmoins l'oeuvre de cet auteur s'inspire de l'ismaélisme dans sa façon de concevoir le Logos et sa conception "monoréaliste" du monde. Bien qu'il affirme que l'essence divine est inaccessible à l'être humain, il place les Attributs au plan de l'essence. Sur ce point spécifique, il s'éloigne de la pensée de la majorité des Ismaéliens qui évitent de qualifier l'essence (dhat) divine par des Attributs (Sifat) (Al-Nasafi 1962 : 283, lignes 11-12). La même théorie concernant l'Essence, la Face et l'Âme est reprise dans les deux premiers chapitres du Kitab-i Tanzil dont Hermann Landolt prépare une édition. Al-Nasafi s'inspire de son maître Sa`d al-din-i Hamuya (Landolt 1996 : 185-189).

SN88

Mansur al-Yaman(?) 1983 : 46, lignes 5-8; Corbin 1970 : 89-90 : "Le disciple : Le nom par lequel tu me nommeras, m'appartiendra-t-il? Le Shaykh : Alors tu serais une idole (ma`bud, c'est toi que l'on adorerait). Le disciple : Comment faut-il donc s'exprimer? Le Shaykh : c'est le Nom qui est ton Seigneur (Malik) et toi qui est le serviteur (mamluk)".

SN99

Dans les gnans, l'équivalent de ce terme technique se trouve sous une forme populaire correspondant au terme bol ou nam ou sabda (Shackle et Moir 1992 : 150).

SN1010

Pir Sadr al-din(?), Bujh Nirañjan; voir Asani 1991 : 138-139 : "ek Ahmad ek jagat pati; ek guru suñ man lay guru sevit Ahmad mile; Ahmad mim gañvay; concentrate on the one Ahmad, the one Master of the universe and the one Guru. Serving the Guru, one acquires Ahmad and then Ahmad loses the letter ``m''" (Asani 1984 : 220; Shams 1952, traduit par Tazim Kassam 1995 : 210 n 26).

SN1111

Extrait du gnan Chandrabhan et Vel de Pir Shams, traduit dans Nanji 1978 : 127-128 : "Let your devotion be directed to your Lord and Teacher so that you may feel his Presence. Purify yourself, so that there may be Light upon Light. Meditate on the Name of the Lord and let Light illuminate your being. Taste the nectar of love, and let joy fill your heart".

SN1212

D'après Vali Mahomed Hooda, le didar peut signifier l'annihilation en la Vérité (Fana' fi al-Haqq) (Hooda 1948 : 114 n. 4); Asani croit que le didar correspond à l'annihilation en la Déité (Fana' fi Allah) (Asani 1948 : 19).

SN1313

Pir Shams, Braham Prakaś (verset 1), traduit par Christopher Shackle et Zawahir Moir (1992 : 90) : "Sat sabda hae gur hamara, tañ ko lakhe na yo sañsara; the true Word is our Guide, which is not perceived by this world". Dans ce gnan le terme Guru, d'origine sanskrite, est utilisé pour désigner le Pir. Une étude intéressante a été faite sur ce gnan par Hasina M. Jamani (1985).

SN1414

Pir Hasan Kabir al-din, Venti (verset 36), traduit par Sultaan Asani (1977 : 57) : "With the aid of your Name, I reach heaven. There are so many thieves obstructing my way; but with your Name they disappear".

SN1515

"Salih : Simplement par ton dire affirmant que le temps des Prophètes est passé pour toi, et que, dans ton temps que voici, il n'y a plus ni Prophète ni Envoyé divin. Est-ce que le missionnement des Prophètes chez les anciens peuples était équité de la part de Dieu, ou bien était-ce un jeu futile? Non pas un jeu, certes. Mais alors, demande Salih, ne sommes-nous pas des servants de Dieu au même titre que les anciens? Son équité devrait-elle cesser quand il s'agit de nous, de sorte qu'il n'y aurait plus d'Amis de Dieu, de contrepoids divins, parmi nous? Ou bien le don en serait-il épuisé de notre temps, pour que nous ayons à nous cramponner à la vérité du don qu'il a fait aux autres? Sa décision ne s'applique-t-elle pas à nous comme aux autres, car il n'y a pas de mutation pour les Verbes de Dieu (Kalimat Allah)? Et qui mériterait ce nom de contrepoids divin, hormis les Amis de Dieu, élus comme tels par une décision qui est elle-même contrepoids, puisqu'elle consiste, en suscitant ces Amis de Dieu, à équilibrer, de même que c'est le Vrai qui rend véridique, vérifie, celui qui l'énonce?" (Mansur al-Yaman(?) 1983 : 71, lignes 9-19; Corbin 1970 : 125-126). Voir aussi son commentaire (Corbin 1970 : 116-117, 132).

SN1616

Cette conception hiérarchique existait déjà chez Pythagore, voir Marquet (1973 : 35 note aq).

 

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