Religiologiques
Vol. 23
(2001): 344-346.
Karim H. Karim, 2000, Islamic Peril : Media and Global Violence,
Montréal, Black Rose Books.
L'islam
restera-t-il toujours une religion méconnue de l'Occident ? Plus du cinquième
de la population mondiale pratique cette religion, il ne s'agit pas d'un islam
mais en réalité d'une foi qui s'exprime au pluriel. Quelle crainte cette foi
suscite-t-elle pour que les médias la présentent comme une menace à l'Occident
? Est-ce une crainte justifiée ou simplement une manœuvre politique des pays
industrialisés pour liquider les armes produites dans leurs usines militaires ?
Car, depuis l'écroulement de l'URSS, la justification de poursuivre la
production des armes militaires n'a plus sa raison d'être et la nécessité de
trouver un autre ennemi se fait cruellement sentir. Les pays musulmans
deviennent des cibles faciles puisqu'ils étaient nos ennemis jurés au Moyen Âge
(p. 3).
L'acteur
médiatique qui se nourrit des événements sensationnels et spectaculaires trouve
dans le monde musulman une manne de manifestations violentes dont il s'empare
pour élaborer des nouvelles. Il attire l'attention du lecteur sur les
événements qui captivent l'imagination, perpétuant ainsi une image négative et
consolidant les préjugés bien ancrés. La narration d'un fait divers réduit
souvent la réalité par des raccourcis et l'angle de notre regard subjectif. La
répétition successive d'articles sur un sujet identique consolide le discours
et établit l'image qu'il désire transmettre.
L'islam
fait souvent la une de nos presses qui dépeignent cette religion comme un
fanatisme où les intégristes et extrémistes se multiplient comme de la vermine.
Ces préjugés sont transmis au reste de la société qui va les absorber pour
fonder son opinion. Cette vision réductrice est néfaste pour le reste des
musulmans qui pratiquent sincèrement leur religion. Cette introduction à
l'islam par des faits divers devient rebutante et crée des fossés
d'incompréhension et de mépris. L'usage de photos de militants armés
juxtaposées à des musulmans qui prient est une manipulation inacceptable. Car
l'acte de prier n'a rien à voir avec les actions isolées de quelques militants
armés. Nos perceptions de tous les jours sont des constructions sociales et ne
résultent pas nécessairement d'observations objectives (p. 4).
Pour
assurer l'équilibre dans toute société, il est crucial que la conscience
sociale préserve l'égalité et la dignité humaine de tout citoyen. La paix est
l'objet de toute société et elle s'établit par le consensus et non par la
discrimination, le pouvoir ou les armes. Le degré de démocratie se mesure par
la façon dont elle traite ceux qui ne partagent pas les mêmes convictions et
l'espace qu'elle leur alloue pour leur pérennité et épanouissement.
La
profession de journalisme exige avant tout un esprit critique et du
discernement pour relater le déroulement des événements dans leur contexte
historique. Pour cela, il est crucial que le journaliste acquière une connaissance
historique des traditions religieuses pour être apte à porter un jugement
adéquat sans aucun préjugé. Cette connaissance est d'autant plus pertinente
qu'elle permet d'éviter la manipulation de symboles religieux et l'ignorance.
Il faut écarter les discours médiatiques qui ont recours aux schémas
traditionnels très réducteurs rattachant l'islam au terrorisme.
C'est
l'enjeu principal de l'auteur de ce livre de couvrir ce sujet d'actualité pour
mettre fin à la mutilation du sens que subit cette tradition religieuse ayant
une expression plurielle et non monolithique. Les musulmans forment une
communauté plurielle, tributaire de multiples particularismes régionaux. La
tendance à présenter l'islam comme un bloc monolithique doit être écartée de
notre schème de pensée pour éviter de pointer du doigt trop facilement
l'adversaire en généralisant.
Sous la
direction de George Szanto, Karim H. Karim a étudié la perpétuation des mythes
et des préjugés concernant le monde musulman dans le journalisme canadien, dans
sa thèse de doctorat intitulée " Constructions of the Islamic Peril in
English-language Canadian Print Media : Discourses on Power and Violence "
(Montréal, Université McGill, 1996). Dans Islamic Peril : Media and Global
Violence, il analyse divers moyens utilisés par les médias pour attirer
l'attention des lecteurs par l'utilisation récurrente de constructions de
stéréotypes dominants. Ces constructions deviennent des prismes déterminants à
travers lesquels se déploie la représentation de l'islam. Le recours à ces
images sert à consolider les préjugés et les rendre plus pénétrants. Cette
pratique consiste à présenter le musulman comme l'ennemi juré de l'Occident
dans le discours journalistique (p. 15) par des titres évocateurs. Pour
défendre sa thèse, Karim H. Karim couvre dans ce livre des sujets ardus et très
volatiles, abordant par exemple les liens entre l'islam et le terrorisme, le jihad
ainsi que les différentes représentations négatives. L'islam est parfois
compris comme la source diabolique des actions violentes des terroristes et
pourtant en réalité, il n'y a pas de causalité directe entre islam et
terrorisme. Voici, paraphrasées, les divisions de ce livre : Violence et médias
; Jihad ; Représentations imagées des orientalistes ; Assassins, les
kidnappeurs et les otages ; Rites pour la description des prises d'otage par
les pirates de l'air ; Dépêches de la Terre Sainte ; Construction d'une menace
post-soviétique ; Retour des guerres religieuses ; Couverture des conflits dans
les pays communistes de l'ex-URSS ; finalement, Vers un reportage consciencieux
et informatif. L'ouvrage inclut un index thématique qui facilite l'accès au
livre.
Les
approches méthodiques utilisées par les institutions occidentales avaient pour
but d'être objectives et de donner une image juste des données factuelles.
Cette vision dépendait des informations sélectives recueillies, influencées par
la mémoire collective imbue de mythes, de légendes, de pièces de littérature
classique ainsi que des expériences de socialisation (p. 177). Malgré certains
efforts tangibles pour mieux présenter l'islam, il faudra raffiner notre
perception pour que des préjugés non fondés ne se perpétuent pas inutilement,
car les impacts et les conséquences sociales ont une ampleur dévastatrice.
Comme
le dit judicieusement Karim H. Karim, un journaliste consciencieux devra aller
au-delà de la compréhension des écrits et des schèmes de pensée traditionnelle
pour éviter une généralisation hâtive ainsi que la perpétuation de stéréotypes
de génération en génération (p. 179). Il faut bâtir un discours constructif
fondé sur des faits réels et éliminer les opinions non fondées. Il est vrai que
certaines actions de quelques militants peuvent mettre en péril certains acquis
occidentaux, mais il est faux de croire que l'islam soit la source de ce péril
(p. 183).
Karim
H. Karim constate que les journalistes canadiens et québécois a fortiori
sont peu préparés pour traiter des sujets qui nécessitent des connaissances
approfondies de l'histoire, de la sociologie et des religions du monde. De
plus, les manuels de cours sur le journalisme ne décrivent presque pas la
puissance des métaphores du langage courant et différentes façons de
transmettre la signification de ces symboles (p. 183-184).
Comme
le dit John D. H. Downing, les professionnels des médias et les chercheurs
avaient un besoin urgent de cet ouvrage qui est le résultat d'une recherche
approfondie sur un sujet capital et d'importance globale. Toute personne
soucieuse de connaître l'importance de transmettre justement les informations
sur des événements ponctuels devra éviter quelques bévues énumérées dans ce
livre. Cet ouvrage est complémentaire à celui de Saddek Rabah, intitulé L'Islam
dans le discours médiatique : Comment les Français se présentent l'Islam en France
? (Paris et Beyrouth, Al-Bouraq, 1998).
Diane
Steigerwald
Université
de Calgary
http://www.unites.uqam.ca/religiologiques/no23/23recension.html#karim