© Canadian Corporation for Studies in Religion /
Corporation canadienne des Sciences Religieuses
London, I.B. Tauris, 2002. 183p.
Critique: Diane Steigerwald,
Religious Studies Department, California State University (Long Beach)
Ali S. Asani, qui a obtenu son doctorat à
l'Université Harvard en 1984, enseigne actuellement à cette même institution.
Dans ce livre, il désire présenter différentes facettes de la tradition
ismaélienne qui a fleuri dans le sous-continent indien. Cette tradition est
encore vivante dans la communauté ismaélienne qui vit présentement en Inde, au
Pakistan, au Bangladesh, en Afrique et en Occident (Portugal, France,
Angleterre, Australie, Canada, États-Unis, etc.).
Il s'agit d'une compilation de
plusieurs articles qui ont été publiés antérieurement dans des revues
spécialisées. L'auteur les a révisés et rassemblés pour former un livre. Son
ouvrage est divisé en sept chapitres, incluant une préface d'Annemarie
Schimmel, une annexe qui comprend des traductions partielles de neufs gnâns,
une bibliographie et deux indexes. Le premier chapitre introduit la tradition
ismaélienne nizârienne en s'inspirant principalement de Farhad Daftary (Ismâ‘îlîs:
Their History and Doctrine, Cambridge: Cambridge University Press, 1990),
Azim Nanji (Nizârî Ismâ‘îlî Tradition in the Indo-Pakistan Subcontinent,
Delmar (New York): Caravan Books, 1978), Christopher Shackle et Moir Zawahir (Ismaili
Hymns from South Asia: An Introduction to the Ginans, Londres, School of
Oriental Studie, 1992) ainsi que Tazim Kasam (Songs of Wisdom and Circles of
Dance, Albany (New York), State University of New York Press, 1995). Les
lecteurs francophones désirant connaître d'avantage cette tradition ismaélienne
peuvent consulter Françoise Mallison qui a traduit sur les Garbî de Pîr
Shams (Littératures médiévales de l'Inde, Paris, 1991) ou Michel Boivin
(Les Ismaéliens, Turnhout (Begique), Éditions Brépols, 1998).
Le second chapitre décrit la
structure dominante des homélies mystiques ismaéliennes. L'auteur explique
l'importance et le rôle des gnâns dans les cérémonies religieuses, leurs
origines, leurs caractéristiques, le langage et le riche vocabulaire, le style
des compositions (poésie et musicalité), les manuscrits et les différentes
éditions qui existent, ainsi que les thèmes variés qui suscitent l'intérêt du
croyant à une vie intérieure plus intense. Le troisième chapitre expose la
richesse des poèmes mystiques où la notion d'union mystique prend une tournure
singulière. Le lien qui unit Dieu à sa création est centré sur l'amour et cet
amour se manifeste et se réalise dans toutes les activités humaines, plus
éloquemment dans l'union amoureuse entre l'homme et la femme. Cet amour prend
toute sa signification dans le mariage, symbolisant cette union entre deux
êtres épris pour s'épanouir ensemble afin de former qu'une seule et même
réalité. Dans les gnâns, cette métaphore est reprise pour exprimer l'amour que
l'Imâm a pour le croyant (murîd). Cette même énergie vitale et créatrice
qui transforme la création continuellement réussit à faire évoluer les êtres
humains le long d'un pèlerinage intérieur vers l'Imâm.
Le quatrième chapitre explique
l'importance de cette tradition gnânique dans l'activité spirituelle du
croyant. Il s'agit en fait d'une tradition vivante de la piété qui s'exprime à
travers la poésie et la musicalité des hymnes religieux. Ces chants (gît)
[210] qui émeuvent l'âme agissent sur l'ensemble des participants durant
les cérémonies religieuses. La sensibilité et l'émotion de celui qui récite
prépare l'âme de celui qui écoute à devenir plus réceptive à la présence
divine. Cette forme de concentration vise à maintenir le lien ontologique entre
le monde divin et physique. Le cinquième chapitre concerne un sujet plus
technique, il s'agit d'une réflexion historique sur les auteurs de ces
homélies. Comme les gnâns ont été d'abord récités et transmis oralement avant
d'être disponible sous forme écrite, il est possible que certaines œuvres ont
été attribuées à un Pîr spéficique, sans qu'il soit l'auteur. Par contre,
chaque composition a une signature indiquée à la fin de l'homélie. Ali Asani et
d'autres spécialistes croient qu'il est important d'approfondir la recherche
avant de se prononcer sur l'auteur réel de chacune des compositions. Ce n'est
qu'après avoir analysé méticuleusement chacune des compositions que l'on puisse
trouver des indices qui permettent d'établir les véritables auteurs. Ce travail
assidu est loin d'être complété et nécessitera encore beaucoup de recherche.
Les chapitre 6 et 7 sont des réflexions
sur les manuscrits et les différents scripts utilisés lors de la rédaction de
cette tradition orale. Cette littérature était secrètement gardée par des
collectionneurs privés. Très peu de textes originaux ont survécus aux
intempéries (climat, insectes, vers, etc.), endommagés par une méconnaissance
des techniques de préservation des manuscrits. Plusieurs langages vernaculaires
ont été incorporés dans la rédaction de ces homélies. Afin de garder secret
l'enseignement de ces homélies, l'usage de l'alphabet khojkî limitait l'accès à
cette connaissance aux membres de la communauté. La maîtrise de l'alphabet est
requise pour déchiffrer le contenu et ainsi devenait une barrière aux
étrangers. L'auteur décrit l'historique et l'évolution de cet alphabet. Ces deux
chapitres sont très techniques, il faut aimer la linguistique pour décortiquer
le contenu de ces chapitres.
À l'annexe l'auteur a inclus des
traductions de neuf œuvres ismaéliennes qui font partie de cette riche
littérature dont voici la liste:
1)
Extrait
du Venti Rûhânî Visâl attribué à Pîr Hasan Kabîr al-dîn (pp. 153-159)
2)
Extrait
du Tamakû sadhâre soh dîn attribué à Pîr Sadr al-dîn (pp. 159-160)
3)
Swâmî
râjo more man thî na viserejî attribué à Pîr Sadr al-dîn (p. 160)
4)
Extrait
du Bûjh Niranjan attribué à Pîr Sadr al-dîn (p. 161)
5)
Hun
re pîasî tere darshan kî attribué à Sayyid Khan (pp. 161-163)
6)
Extrait
du Kalâm-i Mawlâ (pp. 163-165)
7)
Ûncâ
re kot bahu vecana attribué
à Pîr Hasan Kabîr al-dîn (pp. 165-166)
8)
Ab
terî mohabat lâgî
attribué à Pîr Shams (pp. 166-167)
9)
Sakhî
mârî âtama nâ odhâr
attribué à Pîr Sadr al-dîn (pp. 159-160)
Ce livre nous offre une opportunité
de lire quelques homélies ismaéliennes encore méconnues du grand public. Bien
que l'auteur ait travaillé avec minutie, il a mal expliqué dans son
introduction le rôle du Pîr (Sage) et sa position unique dans la
communauté ismaélienne, très différente d'un sayyid (appliqué aux
descendants de Muhammad) ou d'un dâ‘î (prédicateur). Dans la tradition
nizârienne gnânique, la lumière prophétique (Nûr-i Nubuwwa) est
transmise de Prophète en Prophète jusqu'au Prophète Muhammad; puis cette
lumière s'est perpétuée à travers la lignée de l'Hujjat al-Imâm (Preuve
de l'Imâm) ou du Pîr, nommé à vie par l'Imâm. Il n'y a pas d'intermédiaire
entre l'Imâm et le Pîr. Le Pîr joue un rôle important dans l'évolution du
disciple (mûrid) afin qu'il puisse acquérir la connaissance, se libérer
de la contingence terrestre et atteindre le salut. Il transmet l'interprétation
(tafsîr) du Qur’ân dans ses gnâns; ainsi l'essence et la version
actualisée du Qur’ân sont transmises [211] par ce Sage qui est en
perpétuelle quête de la Déité. Il ne peut y avoir qu'un seul Pîr, tout comme il
n'y qu'un seul et unique Imâm par époque.
Cette compilation, de diverses études éparpillées dans plusieurs revues, est le fruit de longues recherches d'un segment d'une période très riche de l'ismaélisme nizârien. Elle a le mérite d'aborder ce sujet d'une manière plus technique, toutefois cette approche peut par contre être contraignante quand il s'agit d'homélie mystique où l'objet est la quête intérieure.
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