Studies in Religion / Sciences Religieuses

31: 2, 2002: 209-211


© Canadian Corporation for Studies in Religion / Corporation canadienne des Sciences Religieuses

[p. 209]

Recension:

Ecstasy and Enlightenment: The Ismaili Devotional Literature of South Asia

Ali S. Asani

London, I.B. Tauris, 2002. 183p.


Critique: Diane Steigerwald,   Religious Studies Department, California State University (Long Beach)


Ali S. Asani, qui a obtenu son doctorat à l'Université Harvard en 1984, enseigne actuellement à cette même institution. Dans ce livre, il désire présenter différentes facettes de la tradition ismaélienne qui a fleuri dans le sous-continent indien. Cette tradition est encore vivante dans la communauté ismaélienne qui vit présentement en Inde, au Pakistan, au Bangladesh, en Afrique et en Occident (Portugal, France, Angleterre, Australie, Canada, États-Unis, etc.).

Il s'agit d'une compilation de plusieurs articles qui ont été publiés antérieurement dans des revues spécialisées. L'auteur les a révisés et rassemblés pour former un livre. Son ouvrage est divisé en sept chapitres, incluant une préface d'Annemarie Schimmel, une annexe qui comprend des traductions partielles de neufs gnâns, une bibliographie et deux indexes. Le premier chapitre introduit la tradition ismaélienne nizârienne en s'inspirant principalement de Farhad Daftary (Ismâ‘îlîs: Their History and Doctrine, Cambridge: Cambridge University Press, 1990), Azim Nanji (Nizârî Ismâ‘îlî Tradition in the Indo-Pakistan Subcontinent, Delmar (New York): Caravan Books, 1978), Christopher Shackle et Moir Zawahir (Ismaili Hymns from South Asia: An Introduction to the Ginans, Londres, School of Oriental Studie, 1992) ainsi que Tazim Kasam (Songs of Wisdom and Circles of Dance, Albany (New York), State University of New York Press, 1995). Les lecteurs francophones désirant connaître d'avantage cette tradition ismaélienne peuvent consulter Françoise Mallison qui a traduit sur les Garbî de Pîr Shams (Littératures médiévales de l'Inde, Paris, 1991) ou Michel Boivin (Les Ismaéliens, Turnhout (Begique), Éditions Brépols, 1998).

Le second chapitre décrit la structure dominante des homélies mystiques ismaéliennes. L'auteur explique l'importance et le rôle des gnâns dans les cérémonies religieuses, leurs origines, leurs caractéristiques, le langage et le riche vocabulaire, le style des compositions (poésie et musicalité), les manuscrits et les différentes éditions qui existent, ainsi que les thèmes variés qui suscitent l'intérêt du croyant à une vie intérieure plus intense. Le troisième chapitre expose la richesse des poèmes mystiques où la notion d'union mystique prend une tournure singulière. Le lien qui unit Dieu à sa création est centré sur l'amour et cet amour se manifeste et se réalise dans toutes les activités humaines, plus éloquemment dans l'union amoureuse entre l'homme et la femme. Cet amour prend toute sa signification dans le mariage, symbolisant cette union entre deux êtres épris pour s'épanouir ensemble afin de former qu'une seule et même réalité. Dans les gnâns, cette métaphore est reprise pour exprimer l'amour que l'Imâm a pour le croyant (murîd). Cette même énergie vitale et créatrice qui transforme la création continuellement réussit à faire évoluer les êtres humains le long d'un pèlerinage intérieur vers l'Imâm.

Le quatrième chapitre explique l'importance de cette tradition gnânique dans l'activité spirituelle du croyant. Il s'agit en fait d'une tradition vivante de la piété qui s'exprime à travers la poésie et la musicalité des hymnes religieux. Ces chants (gît) [210] qui émeuvent l'âme agissent sur l'ensemble des participants durant les cérémonies religieuses. La sensibilité et l'émotion de celui qui récite prépare l'âme de celui qui écoute à devenir plus réceptive à la présence divine. Cette forme de concentration vise à maintenir le lien ontologique entre le monde divin et physique. Le cinquième chapitre concerne un sujet plus technique, il s'agit d'une réflexion historique sur les auteurs de ces homélies. Comme les gnâns ont été d'abord récités et transmis oralement avant d'être disponible sous forme écrite, il est possible que certaines œuvres ont été attribuées à un Pîr spéficique, sans qu'il soit l'auteur. Par contre, chaque composition a une signature indiquée à la fin de l'homélie. Ali Asani et d'autres spécialistes croient qu'il est important d'approfondir la recherche avant de se prononcer sur l'auteur réel de chacune des compositions. Ce n'est qu'après avoir analysé méticuleusement chacune des compositions que l'on puisse trouver des indices qui permettent d'établir les véritables auteurs. Ce travail assidu est loin d'être complété et nécessitera encore beaucoup de recherche.

Les chapitre 6 et 7 sont des réflexions sur les manuscrits et les différents scripts utilisés lors de la rédaction de cette tradition orale. Cette littérature était secrètement gardée par des collectionneurs privés. Très peu de textes originaux ont survécus aux intempéries (climat, insectes, vers, etc.), endommagés par une méconnaissance des techniques de préservation des manuscrits. Plusieurs langages vernaculaires ont été incorporés dans la rédaction de ces homélies. Afin de garder secret l'enseignement de ces homélies, l'usage de l'alphabet khojkî limitait l'accès à cette connaissance aux membres de la communauté. La maîtrise de l'alphabet est requise pour déchiffrer le contenu et ainsi devenait une barrière aux étrangers. L'auteur décrit l'historique et l'évolution de cet alphabet. Ces deux chapitres sont très techniques, il faut aimer la linguistique pour décortiquer le contenu de ces chapitres.

À l'annexe l'auteur a inclus des traductions de neuf œuvres ismaéliennes qui font partie de cette riche littérature dont voici la liste:

1)      Extrait du Venti Rûhânî Visâl attribué à Pîr Hasan Kabîr al-dîn (pp. 153-159)

2)      Extrait du Tamakû sadhâre soh dîn attribué à Pîr Sadr al-dîn (pp. 159-160)

3)      Swâmî râjo more man thî na viserejî attribué à Pîr Sadr al-dîn (p. 160)

4)      Extrait du Bûjh Niranjan attribué à Pîr Sadr al-dîn (p. 161)

5)      Hun re pîasî tere darshan kî attribué à Sayyid Khan (pp. 161-163)

6)      Extrait du Kalâm-i Mawlâ (pp. 163-165)

7)      Ûncâ re kot bahu vecana attribué à Pîr Hasan Kabîr al-dîn (pp. 165-166)

8)      Ab terî mohabat lâgî attribué à Pîr Shams (pp. 166-167)

9)      Sakhî mârî âtama nâ odhâr attribué à Pîr Sadr al-dîn (pp. 159-160)

Ce livre nous offre une opportunité de lire quelques homélies ismaéliennes encore méconnues du grand public. Bien que l'auteur ait travaillé avec minutie, il a mal expliqué dans son introduction le rôle du Pîr (Sage) et sa position unique dans la communauté ismaélienne, très différente d'un sayyid (appliqué aux descendants de Muhammad) ou d'un dâ‘î (prédicateur). Dans la tradition nizârienne gnânique, la lumière prophétique (Nûr-i Nubuwwa) est transmise de Prophète en Prophète jusqu'au Prophète Muhammad; puis cette lumière s'est perpétuée à travers la lignée de l'Hujjat al-Imâm (Preuve de l'Imâm) ou du Pîr, nommé à vie par l'Imâm. Il n'y a pas d'intermédiaire entre l'Imâm et le Pîr. Le Pîr joue un rôle important dans l'évolution du disciple (mûrid) afin qu'il puisse acquérir la connaissance, se libérer de la contingence terrestre et atteindre le salut. Il transmet l'interprétation (tafsîr) du Qur’ân dans ses gnâns; ainsi l'essence et la version actualisée du Qur’ân sont transmises [211] par ce Sage qui est en perpétuelle quête de la Déité. Il ne peut y avoir qu'un seul Pîr, tout comme il n'y qu'un seul et unique Imâm par époque.

Cette compilation, de diverses études éparpillées dans plusieurs revues, est le fruit de longues recherches d'un segment d'une période très riche de l'ismaélisme nizârien. Elle a le mérite d'aborder ce sujet d'une manière plus technique, toutefois cette approche peut par contre être contraignante quand il s'agit d'homélie mystique où l'objet est la quête intérieure.

 


Go to / Aller à:

Volume 31/2 Table of Contents
SR Home Page

WLU Press Home Page